Pèsson d'avré

 
        Vo vo rapelô ben l'an passô lo Toine éte vôlë vé lo Jean-Marie. Lo parmï d'avré apré mijor Jean-Marie disé à son volë: ceté vèpro t'éré laborô din l'invar la tara qu'é contra lo boé. Ya to bou, je voé cor te quatrure. Lo vetià modô. O se laborôve to solë et lo Toine se sonjove je farai au moins 28 à 30 voyajo.

        Oua, mé tiran quatrure pindant qu'à virôve sa sochià dou lô dou boé al intindé craquô de branche. O dirë fran côquin que morchôv tiri dedin et in faisan sa rayi a se revirôve sovin pa vaire si o sôtre quôque chousa. To pa lo coup o debouche in type. O simblôve un pouro. Al ayë na groussa billi, na pére de ville galoche su les épale et na museta qu'ayë in litre que depassôve. O n'éte pô tro rassurant, surtout que çu coin éte assez solë. Enfin a reprené ben sa rai et lo pouro y vené dessus. A se beté à gesticulô, à gueulô, à fére simblant d'igarayï son litre et d'y foutre de coup de billi. In revirant sa sochià, a se sonjôve : al a ben fran de sôle grimace, cet isiau, je me demando bien ce qu'a me vou. Oh, l'animau, lo vètyà qu'é apré farniquetô din mon panï de quatrure et ma vesta. A vè suramin amassô ma montra. Lo vètyà que me revint dessus. A y fé la méma grimace qu'à l'autra rayi et a s'arrêté ou mitan de la tara. Mon Toine se sonjé: je ne volo to de mémo pô me sauvô pa tyen. Fan incore na rayi, a se n'érà çarte. Mé ou contréro, a se rebeté à gesticulô et à lo menacï bien mé qu'avant.

        Lo pouro Toine prené la traqueta, deplaïe son bou su placi, l'aplaïe ou chôr et ardi petit: Bayë ! Rojo ! Allez ! allez ! Oh ! Sapristi ! J'oublio ma vesta et me quatrure et l'autre que me suit incore. Heureusamin que j'ai deplaïi, sin tyen, a m'arë ben écorchï dou lô dou boé. Et allez don, al amösse sa vesta et son panï, a rattrape so bou. Allons ! allons ! Rojo ! Bayë ! Bougï don ! Vo ne vayï don pô l'autro que no sui toujor. Et a lo picôve, a lo picôve, celo pouro bou. Coma l'autro lo rattrapôve, a se figuré que sa dariri hura éte arrivô.Mon Diu ! Mon Diu ! si o m'arrive maleur, féte come si je n'ayin jamé rin fait de mô et imménô me to dre in paradé. Mé a ne devë pô incore cassô sa pipa de ceté cou. To pa in cou, a laissé so bou et prin la corsa jusqu'à la maison: Patron ! Patron ! venï vito ! O ya un bandit que me cour apré pa m'écorchï ! Et tenï, avisô-lo qu'imméne lo bou tiran la rota ceté cou. Et lo patron d'in ar inmalici: te ne vè pô lo laissï fére ! Vé vito me cor celo bou. Je volo bien, mé je n'ouso pô. Vé cor celo bou, ou si a los imméne, je retindrai ton gajo pindan deux an pa lo payï. Non, non, al é bin tro tariblo. Et Jean-Marie to par in coup: Oh, Pierre, aména celo bou, o ya assez durô, te yous ô fait padre la mètya d'ina diyôr, et te , mon gran badaud de Toine, t'ayô don pô comprais qu'o yéte nontron bargï qu'aye montô tot ityen pa te fére prindre in pèsson d'avré ?

 Traduction

Poisson d'avril

 
        Vous vous rappelez bien que l'an passé le Toine était valet chez le Jean-Marie. Le premier avril, après midi, Jean-Marie dit à son valet : cet après-midi, tu iras labourer sur l'ubac la terre qui est près du bois. Lie tes boeufs, je vais chercher le goûter. Les voilà partis. Cela se labourait tout seul et le Toine pensait : je ferai au moins 28 à 30 voyages.

        Oui, mais vers quatre heures, pendant qu'il tournait sa charrue du côté du bois, in entendit craquer des branches. On dirait vraiment quelqu'un qui marchait à l'intérieur, et en faisant son sillon, il se retournait souvent pour voir s'il sortait quelque chose. Tout d'un coup, un type débouche. Il ressemblait à un pauvre. Il avait un gros bâton, une paire de vieilles galoches sur les épaules et une musette qui avait un litre qui dépassait. Ce n'était pas trop rassurant, surtout que ce coin était bien isolé. Enfin, il reprit son sillon et le pauvre vint dans sa direction. Il se mit à gesticuler, à gueuler, à faire sembant d'agiter son litre et de lui donner des coups de bâton. En tournant sa charrue, il pensait : il a bien de sales manières, cet oiseau-là, je me demande bien ce qu'il me veut. Oh, l'animal, le voilà en train de fouiller le panier  de mon goûter et ma veste. Il va sûrement ramasser ma montre. Le voilà qui revient dans ma direction. Il lui fit la même grimace qu'à l'autre sillon et il s'arrêta au milieu de la terre. Mon Toine mensa : je ne veux tout de même pas m'enfuir à cause de cela. Faisons en core un sillon, il s'en ira certainement. Mais, au contraire, il se remit à gesticuler et à le menacer encore plus qu'avant.

 Le pauvre Toine fut pris de panique, détela son boeuf sur-le-champ, l'attela au char et hardi petit ! Tacheté ! Rouge ! Alez, allez ! Oh ! Sapristi ! J'oublie ma veste et mon goûter, et l'autre qui me suit encore. Heureusement que j'ai dételé, sans cela, il m'aurait bien écorché du côté du bois. Et allez donc, il ramasse sa veste et son panier, il rattrape ses boeufs. Allons ! allons ! Rouge ! Tacheté ! Bougez donc ! Vous ne voyez pas l'autre qui me suit toujours. Et il les piquait, il les piquait, ces pauvres boeufs. Comme l'autre le rattrapait, il se figura que sa dernière heure était arrivée. Mon Dieu ! Mon Dieu ! s'il m'arrive malheur, faites comme si je n'avais jamais rien fait de mal et emmenez-moi tout droit en Paradis. Mais il ne devait pas encore casser sa pipe cette fois-ci. Tout d'un coup, il laissa ses boeufs et prit ses jambes à son coup jusqu'à la maison: Patron ! Patron ! venez vite ! Il y a un bandit que me court après pour m'écorcher ! Et tenez, regardez-le qui emmène les boeufs vers la route, cette fois. Je veux bien, mais je n'ose pas. Va chercher ces boeufs,  ou s'il les emmène, je retiendrai ton gage pendant deux an avant de le payer. Non, non, il est bien trop terrible. Et Jean-Marie, tout d'un coup: Oh, Pierre, amène ces boeufs, cela a assez duré, tu leur as fait perdre la moitié d'un après-midi, et toi , mon grand dadais de Toine, tu n'avais donc pas compris que c'était notre berger qui avait monté tout cela  pour te faire prendre un poisson d'avril ?

Claude Radix, d'Yzeron, Rhône. Francoprovençal, dialecte du Pays Lyonnais. Reproduit en février 2003, site Nontra Lingua.


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