Une nouvelle association est née :
"Les Amis du Francoprovençal en Pays Lyonnais"

O y étyë ina vè...


        Il était une fois
, en Lyonnais, à la fin du vingtième siècle, des gens qui imaginèrent de se réunir pour agir contre la disparition de leur patois - du francoprovençal en Pays Lyonnais. Un peu partout, dans notre région et ailleurs, la mort des patois et des langues régionales suscitait des initiatives. Il s'est trouvé alors qu'à Saint-Martin, à Yzeron, à Coise, à Larajasse, à Saint-Symphorien, et en beaucoup d'autres lieux, on se rencontrait, souvent pour le simple plaisir de converser. C'est ainsi que peu a peu se fit jour l'évidence surprenante que le nombre de patoisants était bien plus grand que ce que l'on pouvait penser. On pourrait citer de multiples témoignages, entre autres, celui de la dame qui a fourni la chanson (o y ayë quatre yumaces) que vous pourrez apprendre en annexe au présent article : "J'avais oublié que je parlais patois", nous déclare-t-elle. "Je l'ai redécouvert en assistant aux rencontres d'Yzeron. Et alors, tout m'est revenu, le langage de mon enfance, les chansons. Et maintenant, je sais à nouveau parler mon patois".

        C'est ainsi que s'est imposée peu à peu l'idée qu'il est nécessaire de relier entre elles toutes ces initiatives locales, souvent méconnues, souffrant parfois de leur isolement et de leur manque de dynamisme. C'est ce que vise l'association qui vient de voir le jour. A ce propos, nous citons des passages de ses statuts :


    Constatant que le parler du Pays Lyonnais forme une entité particulière au sein de l'aire francoprovençale (Rhône, Ain, Loire, Isère, Savoie et régions adjacentes, Suisse Romande et vallées des Alpes italiennes), l'Association se propose de lutter contre sa disparition et de maintenir et développer la culture qui s'y rattache […].

Objet :

a. Sauvegarder et développer l'usage du Francoprovençal en Pays Lyonnais.

b. Publier un bulletin et participer à des réalisations telles que recueils, Cd-rom, DVD, et tous autres supports et spectacles vivants.

c. Créer et entretenir des contacts, organiser des rencontres locales, régionales ou internationales avec d'autres groupes, associations ou fédérations de l'aire francoprovençale.


        Mais il nous faut présenter ce langage du Pays Lyonnais. Le lecteur de notre revue et le familier du patois voudront bien nous pardonner ces quelques généralités.

        La découverte du francoprovençal revient au linguiste italien Ascoli, dans les années 1870. Jusqu'alors, on divisait traditionnellement la France romane en deux zones dénommées selon la manière de dire oui au Moyen-Âge : langue d'oc (devenu o) au Sud et langue d'oïl (devenu oui) au Nord. Le français que nous parlons est issu du dialecte d'oïl d'Ile-de-France. Cela dit, une zone intermédiaire correspondant en gros à la région Rhône-Alpes et aux régions frontalières de Suisse et d'Italie était rangée tantôt dans l'une, tantôt dans l'autre de ces deux zones. Ascoli établit un ensemble de traits phonétiques et lexicaux caractéristiques de ces dialectes. Si l'on consulte la carte des langues traditionnelles de la France, cela donne une démarcation très nette (remarquons qu'en termes d'aire linguistique, le francoprovençal vient en troisième position après la langue d'oïl et la langue d'oc).

 

 

        Cette langue a une histoire pour le moins étrange. On admet actuellement que l'influence de la puissante cité de Lugdunum, fondée en 49 avant notre ère, rayonnait le long des grandes voies de communication (les voies dites romaines) et que les traits particuliers du latin que l'on y parlait formèrent dès le 1er siècle la base du francoprovençal. Il y a ainsi des mots que l'on ne retrouve que chez les poètes latins, Ovide en particulier : le latin de Lyon feta, la brebis, qui signifie normalement la mère d'un animal, a donné feya, brebis (qui rejoint ainsi, avec un sens différent, le mot savant fœtus du français). Les poètes emploient aussi le mot molaris, qui désigne une colline, et que l'on retrouve dans le mollard du francoprovençal et dans nombre de noms de lieu qui désignent une côte, ainsi que dans des noms de famille régionaux.

        Par la suite, cette langue ne se développe pas comme une autre, car Lyon a les yeux fixés au loin sur le royaume de France, alors que par exemple Toulouse devient le centre de la culture occitane des troubadours ou que Paris cultive et fait rayonner sa langue française. Depuis le XIIe siècle, les poètes lyonnais riment dans la langue de Paris. Louize Labé, notre "Belle Cordière", n'en est-elle pas le plus illustre exemple ? De plus, Lyon ne deviendra jamais capitale politique ou culturelle de la province qui l'entoure (où est le Lyonnais ? demande Henri Hours dans un article publié récemment dans l'Araire). En somme, dès le Moyen-Âge, n'ayant pas conscience de lui-même, le francoprovençal se fragmente en dialectes qui s'ignorent mutuellement et ne produit guère d'œuvres littéraires. Certes, on peut lire les divers textes répertoriés par les chercheurs, des Œuvres de Sainte Marguerite d'Oingt (XIIe siècle) aux poèmes politiques de Guillaume Roquille (1840) de Rive-de Gier, dont la lecture, accessible à tout familier du patois, est pleine d'intérêt, mais il n'y a pas de tradition littéraire d'ensemble qui traverserait les provinces et les siècles.

        La thèse communément acceptée pose le francoprovençal comme une sorte de forme ancienne de la langue d'oïl, qui se se serait séparée d'elle il y a plus de mille ans en "refusant" l'évolution que celle-ci suivait. Pour citer l'exemple le plus visible, le francoprovençal conserve le a du féminin latin que l'on observe par exemple en italien. Ainsi, la rose du français, prononcée en une seule syllabe (rôz'), a une forme identique en latin, en italien et en francoprovençal : rosa (pour les non patoisants, l'accent porte sur le o et le a s'entend à peine). Mais une des originalités du francoprovençal par rapport à toutes les autres langues voisines réside ici dans une autre forme de féminin : la suffixation en i. Pour la vache, à côté du latin et de l'italien vacca, nous disons vachi, ou pour la vendange (vindemia en latin), nous disons la vindèmi, toujours avec un i faiblement accentué.

        Pour le chercheur, le francoprovençal est un champ d'investigation extrêmement fertile. En revanche, jusqu'à ces dernières années, les patoisants ne percevaient pas leur pratique comme un bien culturel précieux, mais souvent comme une honte, voire un handicap. On s'aperçoit maintenant du bien irremplaçable que représente sa connaissance, et que ce soit en Italie, en France ou en Suisse, on voit se multiplier diverses initiatives qui visent à la pérennité du francoprovençal : ouvrages, études, enregistrements, rencontres, festivals, création poétique, musicale, théâtrale, folklore, etc.

        En effet, une langue n'est pas un simple code, mais une manière d'appréhender le monde et de sentir les choses. Nos dialectes sont à base paysanne, marqués la plupart du temps de façon émotive par notre enfance, par des coutumes et des savoir-faire qui disparaissent, par des traditions de chansons et d'histoires drôles. La plupart des lecteurs, ainsi que l'auteur de ces lignes, ressentent l'importance vitale de cet aspect des choses. Mais il est passionnant aussi de découvrir que ces mêmes dialectes nous ouvrent à la vie urbaine de Lyon au XVIIe siècle, de Genève au XVIe siècle, à la mystique du haut Moyen-Âge, et à maints domaines qui restent à explorer, mais aussi à la vie traditionnelle de ces pays aussi proches que méconnus que sont la Gruyère et le Jorat en Suisse, le Val d'Aoste et les hautes vallées piémontaises, voire les villages des Pouilles (sud de l'Italie) où ont émigré au XIIIe siècle des gens du Bugey qui ont conservé intact leur parler francoprovençal - que nous pouvons contacter... dans nos propres patois.

        On peut émettre quelques vœux : que les détenteurs de ce savoir (les "patoisants") se fassent connaître et s'organisent pour empêcher que la langue disparaisse avec la culture qui y est liée ; que le public ne se ferme pas à ce savoir, mais vienne à la rencontre des patoisants et apprenne leur langue (à notre connaissance, il y a au moins trois jeunes en Pays Lyonnais qui apprennent méthodiquement le francoprovençal : il y a un début à tout !) ; que chez ceux qui le parlent, la conscience des ressemblances prenne le pas sur l'impression de différence entre les dialectes - un Lyonnais et un Savoyard se comprennent aisément pour peu qu'ils saisissent les correspondances entre leurs langages respectifs, et dans nos rencontres en Pays Lyonnais, on admet maintenant les différences entre les parlers de communes souvent éloignées, et il n'y a plus d'obstacle à l'intercompréhension.

        Apprendre et cultiver la vieille langue du pays, faire l'effort de la redécouvrir, ce n'est pas seulement - selon la formule consacrée - retrouver ses racines, mais c'est surtout lui donner la créativité et la jeunesse qui devrait faire l'originalité de toute région. Le langage fait partie intégrante du patrimoine. Mais à la différence peut-être du patrimoine visible - architecture, paysage, industrie, artisanat - qui peut dans certaines conditions être préservé et reconstruit, le patrimoine humain que représente une langue et tout ce qui y est lié est très fragile, sujet au mépris ou à l'oubli - que l'on songe à ces petits peuples qui, partout dans le monde, ont oublié leur langue et ignorent même qu'il en ait existé une -, et, à défaut de transmission familiale, ne peut être transmis que par l'enseignement. Vous qui êtes animés de ce même esprit, patoisant ou non, rejoignez-nous !

  

 

Deux représentants du Pays Lyonnais à la fête Internationale du Francoprovençal
à Brusson, Val d'Aoste (Italie) le 22 septembre 2002.

        
Pour illustrer ces développements, nous vous proposons de chanter une chanson :

                                                            Un coq-à-l'âne

O y ayë quatre yumaces,

 

Il y avait quatre limaces,

o y ayë quatre yumaces,

 

il y avait quatre limaces,

que laborôvian mon prô

 

qui labouraient mon pré,

venyî tou vère !

 

venez tous voir !

 

que laborôvian mon prô

 

qui labouraient mon pré,

ne venyî pô.

 

ne venez pas.

 

 

 

Lo bovî que le menôve (bis)

 

Le bouvier qui les menait

ne sayë pô le menô

 

ne savait pas les mener,

venyî tou vère ! etc.

 

venez tous voir !

 

 

 

A you chapotôve su le côrnes

 

Il leur tapait sur les cornes,

a le fèsë reculô

 

il les faisait reculer.

  

 

  

O y ay' ina viyi souma

 

Il y avait une vieille ânesse

que petassôve son bô

 

qui racommodait son bas.

  

 

  

L'i betôve ina pici roji

 

Elle lui mettait une pièce rouge

et l'autra barricolô

 

et l'autre bariolée.

  

  

  

Mais l'ayë pardu son uyi,

  

Mais elle avait perdu son aiguille,

le la charchôve avoé lo nô

  

elle la cherchait avec le nez.

  

  

  

Le se piquî à la pointchi

  

Elle se piqua à la pointe,

Bien à la pointchi dou nô

  

Bien à la pointe du nez.

  

  

  

O y ayë ina chapeula

  

Il y avait une chapelle

que n'ayë ni prétro ni curô

  

qui n'avait ni prêtre ni curé.

  

  

  

Et o v'ët' ina viyi chura

  

Et c'était une vieille chèvre

que chantôve l'allelouyô

  

qui chantait l'alléluia.

  

  

  

Mais l'ayë migi sa feuyi

  

Mais elle avait mangé sa feuille,

le ne poyë plus chantô.

  

elle ne pouvait plus chanter.

  

        Nous vous invitons donc à recueillir cette version de tradition orale grâce aux quelques notes qui suivent. La prononciation ne doit pas poser problème : seul le r entre deux voyelles (laborôviant, vère, curô et chura) doit être prononcé faiblement, avec la pointe de la langue.

        Voici la transcription musicale : 
 

 
Menagî-vos, et jusqu'à mé ! 

(ménagez-vous, et à bientôt !)

  Article paru dans la revue l'Araire, publiée par l'Araire, groupe de recherche sur l'archéologie, l'histoire et le folklore du Pays Lyonnais - passage de l'Araire - 69510 Messimy-en-Lyonnais


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