LO CREUSEU
Bulletin N° 3 février 04 |
Editorial
Et
depuis le dernier bulletin...
Perspectives
- Les Projets
Documents
- Voyage dans le temps, 2ème partie
- Histoire d'ina familli dous Monts dou Lyonnais
Il y a quelques semaines, une émission télévisée qui
avait pour thème le francoprovençal nous emmenait de Saint-Martin en Haut au
Val d’Aoste, chez les chercheurs du CNRS et en Savoie. Peut-être y
participiez-vous en personne, peut-être y avez-vous reconnu des visages
familiers. Retenons la mise en valeur du patois qui naguère encore était méprisé
et l’importance d’une telle émission qui, espérons-le, sensibilisera nos
compatriotes encore nombreux qui connaissent parfaitement nontra linga
mais n’ont guère envie d’en parler. Mais surtout, celui qui connaît le
refrain désespérant des spécialistes, qui répètent depuis belle lurette que
le francoprovençal, hormis la Savoie et le Val d’Aoste, est une langue
moribonde, sinon déjà morte, n’a pu qu’être agréablement frappé du
changement de ton des chercheurs interviewés lors de cette émission. Ils ont déclaré
en substance qu’il y avait des îlots de résistance dans les Monts du
Lyonnais, par exemple autour de Saint-Martin en Haut ou de Saint-Symphorien sur
Coise. Voilà des paroles encourageantes ! Et il ne tient qu’à nous de
passer de la résistance à la reconnaissance et au développement.
Renforçons
nos activités afin de nouer des relations avec les groupes francoprovençaux
qui se forment partout autour de nous, non seulement dans le Rhône, mais dans
la Loire, dans l’Isère et au-delà. Et surtout, mettons en place les
structures d’une transmission aux jeunes générations, sous quelque forme
qu’elle se fasse. Si d’autres l’ont fait, nous pouvons parfaitement
enrichir notre propre expérience. Notre Association en est encore à ses débuts,
et elle est appelée à croître pour remplir pleinement son rôle. Apportez
votre concours, et si ce n’est pas encore fait, rejoignez-nous, patoisant ou
non !
Le 26 octobre, la revole de la fête de Cruseilles nous a réunis dans la salle de la M.J.C. de Saint-Martin. La presque totalité des participants à la fête du Patois y étaient présents, et avaient amenés avec eux de nombreux invités. En dégustant pâtés aux poires et diverses cochonailles, nous avons évoqué ces belles journées et continué la fête par des chansons et des récits.
Le lundi 17 novembre, FR3 nous a interviewés et enregistrés dans un café à Saint-Martin, pour une émission sur le francoprovençal qui a passé le dimanche 7 décembre à 13h 40. Nous étions une douzaine attablés dans une atmosphère amicale à côté des beloteurs qui jouaient aussi en parlant patois. L’émission a été largement suivie et positivement commentée.
Le samedi 6 décembre,
nous avons participé à une rencontre des patoisants à la salle municipale
d’Yzeron.
Les samedis 8
novembre et 10 janvier ont eu lieu en Savoie des rencontres destinées à
mettre au point une graphie commune. L’AFPL, représentante du francoprovençal
du Pays Lyonnais, en est partie prenante. Il y a en effet environ cinq cents
différentes formes (« patois ») dans l’espace du francoprovençal
(Rhône-Alpes, Bourgogne, Suisse, Val d’Aoste, Piémont et Pouilles), et nous
mettons au point un moyen commode pour mieux lire nos productions
mutuelles. Ainsi, les textes créés par la section « patois » de la
MJC de Saint-Martin pourront être transcrits afin d’être communiqués à
tous les autres et de témoigner ainsi de notre dynamisme. Il ne s’agit pas de
changer nos habitudes d’écriture, mais seulement d’avoir un instrument de
publication accessible aux personnes des autres régions. La prochaine
rencontre, qui sera peut-être la dernière, aura lieu le samedi 20 mars.
Nous informerons les gens intéressés des résultats de nos travaux.
Le vendredi 21 novembre, la toute nouvelle Maison de Pays de Saint-Martin
en Haut nous a invités à organiser une soirée patoise dans le cadre de son
exposition sur la vie paysanne traditionnelle. La salle étaitcomble, ce qui témoigne
de l’intérêt du public pour cette culture et ne peut que nous encourager.
Le mercredi 26 novembre, à l’invitation de l’Association lyonnaise
L’Improbable, Claude Longre a tenu une conférence sur la littérature
francoprovençale en collaboration avec René Merle, chercheur spécialisé en
histoire du mouvement ouvrier au XIXe siècle en langue occitane et francoprovençale
– c’est René Merle qui a sorti de l’oubli un des plus grands écrivains régionaux
patoisants du XIXe siècle : Guillaume Roquille de Rive-de-Gier. A cette
conférence tenue à la Librairie A plus d’un titre à Lyon assistaient une
trentaine de personnes qui ont pu ainsi découvrir l’existence d’une littérature
régionale particulière dont ils ignoraient peut-être tout.
Le vendredi 5 décembre, l’association culturelle de Cottance (Loire) nous a invités à sa première fête du patois. Chaleureusement accueillis, nous avons alterné nos prestations, en constatant avec plaisir que nos patois étaient très proches les uns des autres. Nous gardons contact et encourageons ces nouveaux groupes à développer leurs activités et à inviter leurs propres voisins à en faire autant.
Enfin, le 31 janvier à 20h 30, nous avons été invités à la seconde fête du Patois à Toussieu (Rhône), à l’est de Lyon. Nous avons constaté une fois de plus combien un patois « dauphinois », très proche du nôtre, est vivant dans une zone située à moins d’un vingtaine de kilomètres de Lyon, tout en connaissant les mêmes menaces de disparition que chez nous. Nous avons intérêt donc à tracer des perspectives communes de développement et de transmission, avant qu’il ne soit trop tard ! C’est d’ailleurs là l’objectif principal de notre association.
Nous savons qu’il y a une dizaine d’années, dans notre Pays Lyonnais, peu de gens s’intéressaient à la culture liée au francoprovençal. Les initiatives de quelques-uns ont pu créer un mouvement important qui ne fait que se développer. Nous voyons volontiers, dans ce mouvement, trois aspects essentiels :
Enfin, troisième chose, qui est surtout à l’état de projet : on
ne peut imaginer que notre culture disparaisse. Certes, on ne retrouvera jamais
l’atmosphère des villages et de la campagne à l’époque des chars à bœufs
et de la batteuse. Mais faut-il pour autant abandonner l’idée de la
transmission du francoprovençal ? Nous savons qu’une langue exprime un
univers qui lui est propre. Je cite avec émotion un passage du beau texte de Rémi
Cuisinier paru dans notre bulletin N° 1 :
Le patois a été façonné par les êtres humains. Il permet d'écouter
la voix de la terre, dans laquelle passe toute l'âme paysanne qui exprime ses
vibrations et sa sensibilité. Notre patois a toujours rythmé la vie
quotidienne, avec les soins à donner aux bêtes, aux cultures et aux gens.
Depuis longtemps il a permis aux humbles de s'exprimer. Les intonations de notre patois sont un écho qui vient de très très
loin. Chaque génération y a apporté à sa façon, sa verve et sa
truculence. Voilà bien pourquoi, il ne faut pas laisser petafiner notre patois
francoprovençal. |
Tout d’abord, la fête internationale du patois francoprovençal aura lieu en Italie, à Ceresole Reale, les samedi 18 et dimanche 19 septembre. Certes, il nous faudra un jour nous mettre sur les rangs et organiser à notre tour une rencontre de ce genre en Pays Lyonnais. Mais en attendant, nous proposons d’organiser un festival « entre nous » au cours de l’été. Pour cela (lieu, organisation, date, publicité), toutes les bonnes idées et les bonnes volontés sont requises ! Ainsi, de proche en proche, nous pourrons élargir le public afin d’aboutir bientôt à ce festival international.
Par ailleurs, nous entrons en relation avec des associations francoprovençales qui se forment, en particulier à Eclose, entre Grenoble et Lyon, et un autre village des Terres Froides, dans l’Isère. Nous allons entrer en contact avec l’association des patoisants de Montbrison dans la Loire.
Avant d’être une langue propre aux campagnes, qui jouent ainsi encore le rôle de « conservatoire » des traditions culturelles, le francoprovençal s’est parlé partout dans nos régions, en particulier dans les grandes villes. Si les textes que nous possédons sont plutôt rares, c’est que dès le Moyen-Âge, le dialecte de Paris, langue de l’administration royale, s’est imposé, en commençant par la bourgeoisie des villes. Comme il fallait bien justifier cet usage, on a paré le français de toutes les qualités et par conséquent décrié la langue locale, la qualifiant de « patois grossier », ce qui, pour un linguiste et pour toute personne sensée, ne veut rien dire.
C’est
ainsi qu’on a peu d’écrits en langue lyonnaise. Citons le bel ouvrage (dont
nous tirons le Noël qui suit) Textes littéraires en patois lyonnais de
Suzanne Escoffier et Anne-Marie Vurpas (Editions du CNRS),: « La littérature
lyonnaise en dialecte est peu connue, même des spécialistes. […] Seul un
petit groupe d’érudits continue à s’y intéresser. Entre le XVIe et le
XIXe siècle, on a pourtant composé et écrit en patois : récits
burlesques, chansons et noëls surtout, et même une comédie ».
On doit se représenter que le francoprovençal a été la langue de Lyon, issue directement du latin parlé par nos ancêtres à partir de la fondation de Lugdunum par les Romains, il y a plus de 2000 ans. Le Noël lyonnais qui suit en est un exemple. Nous remarquons que ce patois lyonnais d’il y a plus de trois siècles est très proche de notre langue actuelle du Pays Lyonnais. Et on peut s’imaginer que s’il avait survécu comme à la campagne, les gens de la ville parleraient un patois semblable à celui des villages d’aujourd’hui...
Certes,
il y a des mots différents de
notre usage : « coeti vou » (depachi-vos), « tretou »
(tou), « fuma » (fena), et aussi le a ancien accentué, qui a
évolué il y a deux siècles environ dans le Lyonnais en un son qui varie entre
â, ô et on : « Ne manqua pas » est
devenu chez nous par exemple « Ne manquô pô »
Ce
Noël de 1693 est une présentation de la Nativité sous forme de dialogue entre
les bergers, qui parlent la langue du peuple. Il était certainement chanté,
mais la mélodie s’est perdue. Si quelqu’un en trouvait une qui convienne,
nous lui en serions très reconnaissants. En attendant, bonne lecture !
1 |
1 |
Ça Bergi, coeti vou de couri, | Hé, bergers, hâtez-vous de courir, |
Ne manqua pas tretou de veni | Ne manquez pas de venir tous |
Vaire la Nativita, | Voir la Nativité |
D’un Dieu, que vin no racheta. | D’un Dieu qui vient nous racheter. |
2 | 2 |
- Grou Françai, ne dites pas qu’un Diu | - Gros François, ne dites pas qu’un Dieu |
Deden ceti paï e venu. | Dans ce pays est venu. |
No fo l’alla visita, | Il nous faut lui rendre visite |
Et de bio Noë lu chanta. |
Et de beaux Noëls
lui chante |
3 | 3 |
- Je te dio que si te lo veya, | - Je te dis que si tu le voyais |
Dessu un pou de paille cucha, | Sur un peu de paille couché, |
Nu, sen être emmailliota, | Nu, sans être emmailloté, |
Ah ! qu’i te faret granda pitia ! | Ah ! qu’il te ferait grand pitié ! |
4 | 4 |
E nou fodra battre lo tambour, | Il nous faudra battre le tambour |
Et no z-assembla tertou ; | Et tous nous assembler ; |
Fo ben que chacun portey, | Il faut que chacun porte |
Quoque chousa à celi Rey. | Quelque chose à ce roi. |
5 | 5 |
Per mei je porto de bio drapiau | Pour moi, je porte de beaux draps |
Afin de lo pouvai teni chau, | Afin de pouvoir lui tenir chaud, |
De langeo et de beguin, | Des langes et des béguins |
Per lou servi u besoin. | Pour lui servir au besoin. |
6 | 6 |
Robert marchera tout lou premi | Robert marchera le tout premier |
En portant una bella perdri, | En portant une belle perdrix, |
Sa fuma y menera, | Sa femme il lui amènera |
Que portera un chappon gra. | Qui portera un chapon gras. |
7 | 7 |
La Charlota y vou ben porta, | La Charlotte veut bien lui porter |
Un bonnet doubla de
tafeta |
Un bonnet doublé de taffetas, |
Et de z-abrico confi, | Et des abricots confits |
Per a celi bon Diu offrir. | Pour offrir à ce bon Dieu. |
8 | 8 |
Georjo joiera du fiajolet, | Georges jouera du flageolet |
En portant un grou joli polet, | En portant un gros joli poulet |
Que den sa pochi y metra, | Que dans son sac il mettra |
Per’n être pas embarrassia | Pour ne pas être embarrassé. |
(Suivent, dans cette crèche naïve, « lo petit Toino, Mathieu, Grand Toino et Simon », chacun apportant son présent)
2. deuxieumo épisodo...
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Mos parints ayant na pro bona sandô, mé in cetu tin, i ne preniant pô de remeudos coma vore, quôques rhumos ou la grippa : de tjisanes, de grogos et de vès de ventouses, et tja qu’éteu bon. Mon pôre pregni na pleurésie quand j’étjin môtru, et portant a n’ayeu bavô, coma d’autros : étant nèssu in quatro-viengt onze, a modji ou régiment pa très ans. Quand a revint, o l a fallu remodô à la guarra pa quatr’ans, à Vardun et à Salonique. A fu bleussi ou bras, i y foutèssiont la croué de guarra, mé a n’in parlôve jamé ! J’ayons quand mémo vu din ïn flacon öin ou qu’i y ayant inlevô. | Mes parents avaient une assez bonne santé, mais en ce temps, ils ne prenaient pas de remèdes comme à présent, quelques rhumes ou la grippe : des tisanes, des grogs et parfois des ventouses et voilà qui étati bon. Mon père prit une pleurésie quand j’étais petit, etpourtant il en avait bavé, comme d’autres : étant né en 91, il partit au régiment pour trois ans. Quand il revint, il a fallu repartir à la guerre pour quatre ans, à Verdun et à Salonique. Il fut blessé au bras, ils lui mirent la croix de guerre, mais il n’en parlait jamais ! Nous avions quand même vu, dans un flacon, un os qu’ils lui avaient enlevé. |
J’ai réussi à y fére avè la médailli militére. Quand j’y ou djisi, a me fi : o yé bin d’abôrd tin ! Quand a chayi malado à quatro viengt djix ans, din l’ambulanci, a divaguôve, et lo lindeman, quand j’ailli lo vère à l’hopitô, a me fi : coma o se fa que te z-ou ôs su ?... eh bin, te sôs... o peutôve ! ah, pauvr’amis (o y éte son tarmo), a se crayeu à l’hopitô pa sa blessuri ! et adon, j’ai comprès parqueu me, in revenant de doux ans d’Algérie, je n’in parlôyin pô non plus ! | J’ai réussi à lui faire avoir la médaille militaire. Quand je le lui dis, il me fit : c’est bien d’abord temps ! Quand il tomba malade à 90 ans, dans l’ambulance, il divaguait, et le lendemain, quand je suis allé le voir à l’hôpital, il me dit : comment ça se fait que tu l’as su ?... eh bien, tu sais... ça petait ! ah, pauvr’amis (c’était son terme), il se croyait à l’hôpital pour sa blessure ! et à ce moment, j’ai compris pourquoi moi, en revenant de deux ans d’Algérie, je n’en parlais pas non plus ! |
Ma môre se faiseu toujors de mauvé sang par-nos : ïn jor, j’y djizi : mé parqueu te te fés de soci par-nos ? Le me fi : o yé plus fôrt que-me, je voudri tant que vos sayeussiô tou heureux ! Le tombi malada lo onze dou mai de mai in quatro-viengt yon (lo queûr), lo lindeman de l’euleuction de Mitterrand, et o fu sa fïn : le ne s’in rebeutji pô ; mon pôre la segui quôque tin aprés ! Si la sécu é à cul, o n’é pô à causa de yeullos. Los tins an bien changi : vore o triche, o l-imprinte, o recupeure, o vôle !... mé o l-oublie de rindre : o y é quôsi normal ! | Ma mère se faisait toujours du mauvais sang pour nous : un jour, je lui ai dit : mais pourquoi tu te fais toujours du souci pour nous ? Elle me fit : c’est plus fort que moi, je voudrais tant que vous fussiez tous heureux ! Ele tomba malade le 11 mai 81 (le cœur), le lendemain de l’élection de Mitterrand, et ce fut sa fin : elle ne s’en remit pas ; mon père la suivit quelque temps après ! Si la sécu n’a plus de sous, ce n’est pas à cause d’eux. Les temps ont bien changé : maintenant, on triche, on emprunte, on récupère, on voel !... mais on oublie de rendre : c’est quasi normal ! |
Je m’in voué m’arrêtô qui : je reprindrons din quôque tin, si je n’ai pô leuvô la varna ! | Je m’en vais m’arrêter ici : on reprendra dans quelque temps, si je ne suis pas mort ! |
(à seugre !)
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"Les Amis du Francoprovençal en Pays Lyonnais",
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